Dilemmes éthiques en coaching : entre code de déontologie et conflit de valeurs
Le métier de coach professionnel s’appuie sur des codes de déontologie rigoureux, notamment ceux de l’International Coach Federation (ICF), de l’European Mentoring and Coaching Council (EMCC) et d’autres fédérations reconnues. Cependant, dans la pratique, le coach est souvent confronté à des dilemmes éthiques subtils où plusieurs valeurs fondamentales entrent en conflit, rendant la prise de décision complexe. Ces dilemmes dépassent la simple application mécanique du code et exigent une réflexion approfondie, souvent en supervision, voire en commission éthique (proposée par les fédérations de coaching).
Le travail sur les dilemmes éthiques est une des 4 fonctions de la supervision. Il constitue un point d’entrée essentiel pour questionner la posture du coach et renforcer sa réflexion déontologique. La supervision offre un espace sécurisé pour explorer ces situations sensibles, prévenir les dérives et soutenir un alignement éthique dans la pratique professionnelle. Cet article aide à faire la distinction entre cas déontologiques et dilemmes éthiques, propose des exemples concrets rencontrés sur le terrain, et suggère des pistes de résolution, en s’appuyant sur les codes de déontologie de l’ICF et de l’EMCC.
Cas éthique ou déontologique : comment les distinguer ?
La différence entre l’éthique et la déontologie dans le métier de coach réside dans le fait que l’éthique relève de la conscience individuelle, alors que la déontologie constitue un cadre collectif et normatif appliqué dans la profession.
Éthique en coaching
L’éthique désigne l’ensemble des principes moraux internes et personnels qui guident les décisions et comportements du coach. C’est une réflexion intrinsèque, fondée sur les valeurs profondes du coach (intégrité, respect, bienveillance, responsabilité) qui oriente ses choix dans des situations parfois complexes ou ambiguës.
- L’éthique est donc une boussole intérieure qui pousse le coach à agir « bien » au-delà des règles écrites.
- Elle est parfois subjective, évolutive, et demande une conscience réflexive permanente.
- Par exemple, un coach devrait idéalement refuser/stopper un contrat mais il ne peut le faire par loyauté pour son donneur d’ordre.
Déontologie en coaching
La déontologie, quant à elle, est un ensemble de règles, normes et devoirs formalisés par des instances professionnelles (ICF, EMCC, Société Française de Coaching, etc.) qui encadrent la pratique du coach. C’est un cadre extérieur, collectif et normatif.
- Elle définit clairement les comportements obligatoires ou interdits (confidentialité, compétence, gestion des conflits d’intérêts, respect du client).
- Elle sert à garantir la qualité, la sécurité et la crédibilité de la profession.
- Elle est souvent matérialisée par un code ou une charte déontologique que le coach s’engage à respecter.
- Par exemple, la déontologie impose au coach de noter sur son contrat les conditions dans lesquelles les informations ne seraient pas gardées confidentielles (par exemple activité illégale vis-à-vis de la loi, risque imminent ou potentiel de danger pour soi-même ou les autres…)
« L’éthique concerne ce que nous devons être, la déontologie ce que nous devons faire. »
Emmanuel Kant
Exemples pour distinguer un cas déontologique d’un cas éthique
En coaching, un dilemme éthique arrive quand un coach doit choisir entre deux valeurs importantes, sans règle claire pour l’aider. Par exemple, un coach apprend par le DRH que son client va bientôt être licencié, mais cette information est confidentielle et le client ne la connaît pas. Le coach hésite entre garder le secret pour ne pas trahir le DRH, ou prévenir son client coaché pour qu’il puisse se préparer. Ce dilemme oppose la confidentialité à la loyauté envers le client.
En revanche, un cas déontologique concerne une violation claire et formelle d’une règle professionnelle codifiée. Par exemple, l’assistante administrative d’un coach qui divulgue le nom et l’entreprise d’un client en cours de coaching à un chasseur de tête, est une violation explicite de l’article 2.6 du Code de déontologie ICF (confidentialité), qui stipule que je suis responsable du respect, par mon personnel de soutien, des normes pertinentes du Code de déontologie.
Exemples de dilemmes éthiques en coaching
CAS 1. Confidentialité vs sécurité : quand le client révèle un danger potentiel
Contexte : Un client laisse sous-entendre au coach, qu’il va mal et se sent au bord du burn out. Il dit être harcelé par son manager, mais refuse d’en parler aux RH, ni de s’entourer d’aide médicale. Vous craignez un peu pour sa santé mais ne savez pas où positionner le risque.
Dilemme éthique ou cas déontologique ? :
- Si la menace est avérée et évidente, c’est un cas de déontologie qui fait référence à L’article 2.3 du Code ICF (2025) qui stipule « Je détiens une entente claire avec le(s) client(s), le(s) sponsor(s) et les autres parties concernées relativement aux renseignements confidentiels qui pourraient devoir être divulgués aux autorités compétentes, par exemple, dans le cas d’une activité illégale, d’une exigence par la loi, d’une ordonnance de tribunal valide ou d’une assignation à comparaître, ou encore d’un risque imminent/probable de danger pour soi-même ou pour autrui ».
- Dans ce cas le coach a le devoir de prévenir les instances concernées.
- Dans le cas exposé, la notion de probabilité du danger reste floue, plaçant le coach face à un dilemme éthique, partagé entre deux valeurs fondamentales : le respect de la confidentialité et le devoir d’assistance à personne en danger.
- Dans ce cas le coach traverse un conflit éthique qu’il doit faire évoluer en conscience.
Pistes de solution :
- Clarifier dès le début de la relation les limites de la confidentialité dans le contrat de coaching (Cf. l’article 2.3 du Code ICF)
- Utiliser le modèle de prise de décision éthique ACTION (Awareness, Classify, Time, Initiate, Option evaluation, New learning) pour réfléchir à la meilleure démarche. (1)
- Consulter un superviseur ou la commission éthique de sa fédération pour avis.
- Informer le client de la nécessité de signaler la situation si le danger est réel, en cherchant à préserver la relation.
CAS 2. Respect des valeurs du client vs intervention face à un choix potentiellement immoral.
Contexte : Un client souhaite poursuivre un projet professionnel que le coach estime moralement discutable (ex : licenciement qui semble abusif)
Dilemme : Le coach est partagé entre le respect de la posture de non-jugement et par ses propres valeurs (Justice par exemple).
Le code de déontologie de l’EMCC stipule :
Dans l’article 3.5 : Les membres sont conscients de la possible existence de biais inconscients et veillent à adopter une approche respectueuse et inclusive qui reconnaît et tient compte des spécificités de chacun.
Dans l’article 3.6 : Les membres doivent remettre en question, dans un esprit constructif, les comportements perçus comme discriminatoires de tout collègue, collaborateur, fournisseur de services, client ou participant.
Ici, le coach expérimente un dilemme éthique, en se sentant tiraillé entre sa valeur de non-jugement et celle de non-discrimination.
Pistes de solution :
- Favoriser une posture de questionnement ouvert, aidant le client à explorer les conséquences de ses choix sans jugement.
- Rappeler au client les valeurs (par ex humanité et équité) et limites du coaching, et proposer une réflexion éthique.
- En discuter en supervision pour explorer le conflit de valeur personnel et les articles du code de déontologie en lien.
- Envisager de mettre un terme à l’accompagnement.
Exemples de cas déontologiques en coaching
CAS 3. Conflit d’intérêts personnel ou professionnel
Contexte : Le coach découvre qu’il a un lien personnel (ami, famille) ou un intérêt financier lié à la situation du client.
Dilemme : Le coach doit choisir entre poursuivre la relation, au risque de biaiser son impartialité, ou perdre un contrat et une partie de son chiffre d’affaires.
Dans ce contexte, il ne s’agit pas d’un dilemme éthique, mais bien d’une question de déontologie. En effet, les codes de déontologie sont explicites à ce sujet : tant l’ICF que l’EMCC exigent une transparence totale concernant tout conflit d’intérêts. Ils précisent également que, le cas échéant, le coach doit mettre fin à la relation de coaching.
- L’article 3.1 du code ICF ; « Je suis conscient des implications relatives aux multiples ententes et relations, ainsi que des risques de conflits d’intérêts, et j’en discute avec toutes les parties concernées ».
- L’article 3.2 du code ICF ; « Je gère les conflits d’intérêts et les conflits d’intérêts potentiels avec le(s) client(s) et sponsor(s) de coaching via l’introspection, la ou les entente(s) de coaching et le dialogue en continu. Cela inclut la prise en compte des rôles organisationnels, des responsabilités, des relations, des dossiers, de la confidentialité et d’autres exigences en matière de partage d’information ».
- L’article 3.3 du code ICF ; « Je résous tout conflit d’intérêts avéré ou potentiel en abordant le problème avec les parties concernées, en sollicitant l’aide d’un professionnel ou en suspendant ou en mettant fin à la relation professionnelle ».
Pistes de solution :
- Divulguer immédiatement le conflit au client et obtenir son consentement éclairé.
- Évaluer avec le client les risques et bénéfices de la poursuite.
- Si le conflit est trop important, proposer un transfert à un autre coach.
- Mettre fin à la relation professionnelle.
CAS 4. Fin d’une relation professionnelle
Contexte : Un client a annulé deux séances en dernière minute, il ne progresse pas vraiment après 3 séances et semble peu à l’aise dans son coaching. Vous apprenez par le commanditaire que ce collaborateur hésite à poursuivre et ne se sent pas en confiance. Depuis le début, vous êtes vous-même préoccupé par la relation et aviez déjà amené ce sujet en supervision, pensant que l’alliance n’était pas établie.
Dilemme : Le coach doit-il insister auprès de son client et poursuivre le coaching ou mettre fin à la relation ?
Ici il s’agit d’un cas déontologique, encadré par L’article 2.22 de l’EMCC qui stipule : Les membres doivent inciter le client ou le commanditaire à mettre fin à la relation s’ils estiment que l’un ou l’autre tirerait un meilleur parti du travail avec un autre coach, mentor ou avec un autre professionnel.
Pistes de solution :
- Organiser des séances d’alchimie avant le démarrage du coaching pour valider l’envie mutuelle de collaborer.
- Faire des points d’avancement dès les premiers symptômes pour méta communiquer sur la relation et sur le ressenti du client vis-à-vis de son parcours de coaching.
- Proposer un point d’échange à son client pour envisager une réorientation de l’accompagnement avec un autre coach.
Quelques cas qui peuvent se produire : s’agit-il de cas éthiques ou déontologiques ? Que feriez-vous dans ces cas ?
- Vous sentez une affinité particulière pour un client, vos séances ont tendance à se prolonger et glisser un peu trop longtemps sur l’échange d’informations personnelles. Cas éthique ou Déontologique ? Que faites-vous ?
=> Cas de déontologie : article 3.6 d’ICF
- Vous apprenez malencontreusement que votre client que vous savez en pré Burn out, va être licencié. Cela vous met mal à l’aise vis-à-vis de lui et vous ne savez plus quoi faire.
=> Cas éthique : en discuter en supervision
- Une société avec laquelle vous avez l’habitude de travailler, vous confie un talent pour l’accompagner dans sa prise de poste, à fort enjeu pour l’entreprise. Au bout de 5 séances, votre client vous demande de préparer son dernier entretien avant recrutement, car il a été chassé il y a quelques semaines en arrière. Vous craignez que ce départ potentiel nuise à la confiance de votre donneur d’ordre.
=> Cas éthique : en discuter en supervision
- Un client est en délicatesse avec son DG qu’il dit malhonnête et s’apprête à agir de manière illégale pour obtenir les preuves dont il a besoin pour le faire tomber.
=> Cas de déontologie : article 2.3 d’ICF
- Un client avance très doucement dans son coaching. Au bout de 5 séances, vous suggérez un thérapeute. Le client refuse cette option et souhaite absolument poursuivre avec vous, affirmant que cela lui fait du bien ?
=> Cas éthique : en discuter en supervision
- Vous apprenez que votre associé, dit du mal de vous à certains de vos clients communs. Vous venez de signer un gros contrat qui vous lie encore à minima 1 an.
=> Cas éthique : en discuter en supervision
- Vous êtes très affecté par un événement personnel et vous n’êtes pas en état de fournir une qualité de prestation habituelle. Vous hésitez à annuler vos rdv de la journée par crainte de ne pouvoir les reprogrammer avant plusieurs semaines, contenu d’un agenda surchargé.
=> Cas de déontologie : article 4.2 d’ICF
Conclusion
La supervision de coach est un levier essentiel pour naviguer dans les complexités éthiques de la pratique du coaching. Elle offre un espace de réflexion, de soutien et de développement professionnel, garantissant des standards élevés de qualité et d’intégrité. En intégrant la supervision dans leur pratique régulière, les coachs renforcent leur posture éthique et assurent un accompagnement respectueux et efficace pour leurs clients.
Les 8 principaux dilemmes clés du coach selon l’EMCC
Source : EMCC Global – Ethical dillemnas in coaching today.
Sources :
Codes déontologie :
- EMCC : https://www.emccfrance.org/deontologie-coach-mentors-2/
- ICF : https://coachingfederation.org/resource/icf-code-of-ethics/
Pour contacter les commissions éthiques :
- EMCC : https://www.emccfrance.org/commission-ethique-et-deontologie/
- ICF : https://coachingfederation.org/resource/icf-ethics-assist-line/
Nous consulter pour bénéficier d’une supervision : contact@prolifecoaching.fr
Nous contacter
Sandrine Saliba est Coach Exécutif Sénior certifiée Master Coach Certified (MCC) par la Fédération Internationale de Coaching (ICF) et Senior Practitioner par l’EMCC. Elle est également formatrice au métier de Coach (RNCP et niv 2), Mentor et Superviseur de coach accrédité ESIA.
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