Apparu dans les années 2010, les séances de travail en distance, notamment celles de coaching, ont connu un véritable boom à la suite des années 2020 et de la période du COVID.

Décrié à ses débuts, le distanceciel est aujourd’hui communément utilisé et n’est plus un frein à la performance. Qu’en ait-il de la dimension relationnelle à distance ? Est-il exact de penser que le distanceciel favorise une relation intellectuelle, tandis que le présentiel facilite une relation plus émotionnelle ? L’objectif de cet article est d’apporter un éclairage sur les spécificités de la dimension relationnelle, en particulier lors de séances individuelles de supervision de coach à distance :

La relation distance est-elle à ce point synonyme de distance émotionnelle que sa seule évocation limitait les échanges à une dimension intellectuelle ?

Il-yat-il une dimension relationnelle qui favorise plus que l’autre l’élévation du car surveillé ?

Qu’est-ce qu’une dynamique relationnelle émotionnelle ou intellectuelle, et comment peut-on la mesurer concrètement pendant une séance de supervision ?

Et si le lieu de la supervision, n’était pas le seul facteur de la dynamique relationnelle ?

Comment le style du supervisé, du superviseur ou encore la demande du coach impacte-t-il la relation ?

Et au final, comment le superviseur peut-il ajuster sa posture pour servir au mieux le développement du supervisé et la performance du client.

Pour répondre à ces problématiques, un article de recherche co-dirigé par Me Pascale Pascoa Amorim, Sandrine SALIBA Et Mr Franck BARÈS a été réalisé en 3 temps :

Dans un premier temps un survol du paysage de l’accompagnement à distance, de son évolution et de ses impacts sur la dynamique relationnelle a été réalisé. Ensuite, Une analyse des dimensions intellectuelle (Section 2) et émotionnelle (Section 3) en supervision à distance a été réalisée pour mettre en jeu et en défi la posture du superviseur.

Dans cet article, nous avons le plaisir de partager la partie concernant la dimension intellectuelle.

Pour fonder nos propos, nous avons interrogé des superviseurs et des supervisés afin de recueillir leurs points de vue. Nous nous sommes également appuyés sur les recherches effectuées au cours de cette dernière décennie, sur le résultat qualitatif et quantitatif d’une séance de travail à distance (coaching, management, formation…) et sur les contributions réalisées autour de la dimension intellectuelle et émotionnelle.

 

Dans cette section, nous cherchons à comprendre la place de la dimension intellectuelle dans la relation de supervision de coach à distance. La dimension émotionnelle sera traitée dans la prochaine section afin de cerner la place et la complémentarité de chacun dans la relation de supervision individuelle.

 

Pour ce faire, nous commençons par distinguer dimension intellectuelle et dimension mentale en les définissant. Nous répondrons à la question suivante : Comment le superviseur peut-il prendre conscience et mesurer si la dynamique relationnelle avec le supervisé prend une tournure intellectuelle ?

 

Nous nous attachons à identifier les facteurs qui pourraient favoriser la dynamique intellectuelle dans la relation à distance entre le superviseur et le supervisé : Quel est l’impact de leurs profils respectifs ? Le type de demande formulé par le supervisé at-il une influence ?

 

Nous étudions ensuite les postures que le superviseur peut adopter pour faciliter une dimension intellectuelle quand il est à distance, à savoir quels outils et méthodes de supervision, quelles aptitudes et compétences, quels questionnements et apports utiliser pour encourager cette relation intellectuelle entre supervisé et superviseur.

 

Enfin, nous évaluons l’impact d’une relation intellectuelle dans le processus de développement personnel et professionnel du coach : est-ce que la dimension intellectuelle, lors d’une supervision à distance, permet finalement au supervisé de s’élever ?

 

Pour parcourir ces différentes étapes, nous appuyons nos réflexions et commentaires sur les travaux de chercheurs en psychologie, en psychologie sociale en contexte de supervision de coachs, ainsi que sur les résultats d’entretiens de superviseurs et de supervisés. (1)

Comprendre la dimension mentale et la dimension intellectuelle dans la supervision individuelle de coach à distance

Définition des concepts de dimension mentale et de dimension intellectuelle

Dès le début de notre réflexion, la nuance entre la dimension intellectuelle et mentale s’est imposée. Comment pouvons-nous les définir ?

Tout d’abord, ces deux dimensions sont liées à la cognition et à la réflexion humaine mais en ayant certaines différences qu’il est possible de définir comme suit :

 

  • La dimension intellectuelle peut être définie comme l’ensemble des processus de réflexion, de raisonnement et d’échange d’idées qui se produisent dans le cadre d’une activité intellectuelle. Elle se concentre spécifiquement sur les activités cognitives et de pensée rationnelle. Elle englobe des capacités telles que la résolution de problèmes, la prise de décision, la créativité, la compréhension conceptuelle, la capacité à évaluer, à analyser et à synthétiser l’information.

 

  • La dimension mentale se définit quant à elle, par l’ensemble des processus cognitifs, des expériences subjectives et des activités de pensée qui se déroulent dans l’esprit d’une personne. Elle englobe non seulement les processus intellectuels, mais aussi les émotions, les sensations, les perceptions et les états de conscience. Elle concerne la manière dont une personne interagit avec son monde intérieur et extérieur, en incluant des aspects cognitifs, émotionnels et sensoriels.

 

Au final, la dimension intellectuelle se concentre principalement sur les activités de pensée rationnelle et cognitive, tandis que la dimension mentale comprend non seulement les aspects cognitifs (intellectuels) mais aussi les émotions et la conscience.

 

Encadré 1 : Une illustration

 

Fabrice a un profil « cerveau gauche » selon le modèle HBDI d’Hermann (2), il a besoin d’analyser, de comprendre, de faire preuve de logique et de s’organiser minutieusement pour pouvoir passer à l’action.

Martine, la superviseuse de Fabrice, a bien cerné ce besoin et quand elle laisse Fabrice s’immerger dans cette dimension intellectuelle, il se sent compris et a le sentiment de vraiment progresser.

Toutefois, en ce qui concerne un cas précis, Fabrice se souvient de quel point l’expérience lui a été pénible. Par habitude, il chasse rapidement ce souvenir, mais l’émotion et une légère dans la chaleur l’a traversé quelques instants. Il a conscience qu’il touche du doigt une de ses fragilités.

 

L’illustration ci-dessus pose l’hypothèse que la relation entre le superviseur et le coach supervisé est multiple, oscillant dans chacune des séances de supervision entre une dimension purement intellectuelle, parfois mentale et parfois purement émotionnelle.

 

La dimension mentale semble donc être à la croisée des chemins entre les dimensions intellectuelles et émotionnelles. Sachant que la dimension émotionnelle sera développée en section 3, nous allons nous concentrer exclusivement ici notre réflexion sur la dimension intellectuelle.

Éléments de mesure permettant d’observer la dimension intellectuelle pendant la séance

La dimension intellectuelle est observable en séance de supervision individuelle de coach à distance, dès que le coach évoque des éléments factuels, initie un échange d’idées, raisonne, analyse, synthétise, imagine de nouvelles idées et se met en action.

Les exemples proposés ci-dessous illustrent ces éléments :

 

  • Éléments factuels : le coach relate des faits, des situations, des propositions et actions qui se sont produits pendant sa séance de coaching. Il peut par exemple énoncer l’objectif du client, sa situation et son profil, ou encore, décrire ce qu’il a outils lui-même fait ou dit et quels qu’il a utilisés pendant sa séance.

 

  • Échange d’idées : il s’agit de l’aptitude du coach supervisé à rebondir, enrichir et contredire une proposition apportée par le superviseur. Ceci se retrouve quand le supervisé dit : « en t’entendant me faire ce partage, je réalise qu’il y a une autre hypothèse possible pour expliquer ma situation… ».

 

  • Analyser : concerne la capacité du coach à analyser la situation et ses modes de fonctionnement par exemple, quand celui-ci :
  • Fait un lien entre ce qu’il a expérimenté avec son client et ce qui vient d’être dit dans la séance de supervision.
  • Verbaliser une prise de conscience
  • Pèse le pour et le contre entre plusieurs options ou hypothèses
  • Fait la part des choses et prend du recul par rapport à ce qui s’est passé dans sa séance de coaching avec son client.

 

  • Synthétiser : la relation intellectuelle s’exprime quand le supervisé extrait les idées essentielles de son discours et quand il résume les éléments clés de son récit ou de sa situation.

 

  • Imagine de nouvelles idées : le superviseur pourra mesurer la dimension intellectuelle dans sa relation avec le coach supervisé quand celui-ci :
  • Envisager plusieurs hypothèses
  • Construit de nouvelles croyances plus aidantes
  • Explorer des perspectives alternatives par rapport à ses schémas de pensée
  • Trouve des idées innovantes à expérimenter

 

  • Mise en action : elle peut être réalisée par le superviseur grâce au nombre de solutions proposées par le coach et à sa capacité à énumérer les ressources auxquelles il pourrait se connecter.

 

Un des superviseurs interviewé partage avec nous son éprouvé : «  Quand la relation est dans l’intellectuel ça ne vient pas me chercher, je suis en confort, il n’y a pas de silence et un côté rapide  ».

 

Les facteurs qui influencent la dynamique intellectuelle dans la relation coach-supervisé lors d’une supervision individuelle à distance

Selon le panel des huit coachs supervisés sondés (1), les principaux facteurs qui influencent la dimension intellectuelle se retrouvent dans le profil/style du supervisé, le style du superviseur et le type de demande.

L’enjeu de la demande, l’ancienneté de la relation entre le superviseur et le supervisé, ainsi que l’état émotionnel dans lequel arrive le coach supervisé, serait selon les huit coachs supervisés des facteurs de moindre importance.

 

Figure 2. Résultats issus du sondage réalisé auprès de huit coachs encadrés ( Cf . Annexe 2)

 

Le profil du coach supervisé et le profil du superviseur

Pour la majorité des coachs supervisés, à savoir six sur les huit interviewés, le style du supervisé et du superviseur est un facteur clé qui influence la dynamique intellectuelle en supervision à distance.

Selon leur personnalité, certains perçoivent avant tout les situations à travers le prisme de la pensée factuelle, du questionnement et de leur propre opinion. C’est le cas des profils de base « analyseur » et « persévérant » (Process Com -Taibi Kahler). Il en est de même pour des profils « rouge » ou « bleu » (DISC – Walter Vernon Clarke) ou encore pour des personnes dont le driver « sois fort » est important. (Analyse Transactionnelle – Éric Berne)

A contrario, les profils plus « empathique » ou « énergiseur » vont utiliser un canal davantage tourné sur l’émotionnel pour percevoir leur relation à l’autre et comprendre le monde qui les entoure. Tout comme des profils DISC plus « Vert » ou « Jaune », ou des personnes dont le driver « fait plaisir » est fort ou encore des profils ennéagramme 2 et 9.

Ainsi, le profil de chacun impulse inconsciemment parfois, une dimension relationnelle plus ou moins intellectuelle entre le coach supervisé et le superviseur.

Préférence cérébrale

Pour déterminer la préférence cérébrale des individus, le modèle HBDI (Ned Hermann, 1992) organise le cerveau en deux hémisphères (droit et gauche), eux-mêmes découpés en deux parties ; la zone corticale intégrant la dimension « pensée » et la zone limbique, intégrant la dimension « ressenti ».

Selon Hermann qui s’est appuyé sur les travaux de Roger Sperry et Paul Mac Lean, l’hémisphère gauche du cerveau est le siège de la rationalité et le centre de la pensée analytique. La zone corticale gauche facilite la pensée logique et réaliste. Elle permet de quantifier, analyser, critiquer et de s’appuyer sur des éléments factuels. La zone limbique gauche, quant à elle, facilite l’organisation et le côté pragmatique des ressentis. Elle permet de contrôler, de séquencer, de détailler et de décomposer un problème de façon méthodique.

Ainsi, tout comme les profils de personnalité, une préférence cérébrale gauche pourrait plus facilement influencer la relation entre le supervisé et le superviseur vers une dynamique intellectuelle.

Encadré 2 : Une illustration

Olivia est coach Wellness et a une préférence cérébrale gauche. Chacune de ses séances est analysée de manière rationnelle. Elle a besoin de comprendre et d’appréhender en priorité les faits pour faire émerger des hypothèses utiles pour résoudre les situations qu’elle rencontre avec ses clients. C’est sa manière à elle d’incarner sa pratique réflexive. Elle résiste à toutes tentatives d’immersion dans une dimension plus émotionnelle, plus imaginative ou métaphorique.

Olivia est accompagnée par Brigitte, une superviseure dotée d’une préférence cérébrale droite, qui privilégie une perception plus intuitive, visuelle et émotionnelle. Le fonctionnement de Olivia est parfois déconcertant pour Brigitte qui voudrait, sans succès, pouvoir instaurer un peu de sensibilité dans la relation. Elle travaille elle-même en supervision sa capacité à s’ajuster à cette préférence cérébrale pour ne pas risquer de rompre l’alliance avec Olivia.

Un des superviseurs interviewé affirme volontiers son parti-pris : « Je préfère laisser les clients naturellement à l’aise dans la dynamique relationnelle intellectuelle, dès lors que des progrès significatifs se font sentir. Je tente progressivement de favoriser une dimension émotionnelle si je pense que cela servira leur développement. »

 

Maturité de développement

La maturité du superviseur est un élément pouvant également influencer la dimension intellectuelle. 

Selon le référentiel de compétence de l’EMCC (Cf. Annexe 4), la compétence 5 « Conscience de soi » permet au superviseur d’utiliser et de développer consciemment le « soi » au service de la relation et du processus de supervision. L’importance ici pour le superviseur est d’être conscient de la façon dont son propre style influence ses séances de supervision à distance.

Quelques questions que le superviseur exerçant à distance peut se poser :

  • Est-il à l’aise pour naviguer dans cette dimension intellectuelle si son profil est plutôt émotionnel?
  • Quand oriente-t-il inconsciemment la discussion vers une dynamique intellectuelle car celle-ci correspond à sa propre préférence cérébrale?

La compétence 6 de l’EMCC « Conscience de la relation » est également un facteur qui peut influencer une dynamique intellectuelle en supervision individuelle de coach à distance. L’EMCC définit cette compétence comme la capacité du superviseur à « comprendre et travailler avec les niveaux relationnels qui sont actifs dans le processus de supervision, c’est-à-dire à adapter le style et la structure de supervision aux besoins particuliers du coach supervisé ».

Quelques questions que le superviseur exerçant à distance peut se poser :

  • Pour quoi (dans quel but) décide-t-il de laisser la relation intellectuelle s’installer ou au contraire d’amener le coach supervisé vers une dimension intellectuelle par moment ?
  • Est-il clairement conscient de la part occupée par la dimension intellectuelle dans sa relation avec le coach supervisé ?
  • Comment mesure-t-il que la dimension intellectuelle permet sur l’instant au coach supervisé de progresser et de réaliser un changement de niveau 2 (principe conceptualisé par Edgar Morin)?

Tout comme la maturité de développement du superviseur influence la relation intellectuelle lors d’une supervision de coach à distance, la maturité du coach supervisé joue aussi un rôle essentiel. Grâce à un accompagnement régulier en supervision, le coach aura pu développer une meilleure conscience de lui-même lui permettant de naviguer plus facilement entre les dimensions intellectuelles et émotionnelles. La supervision permet précisément le « développement du supervisé ». Cette mission correspond à la compétence 2 de l’EMCC.

 

La demande du coach supervisé

Selon Lamy & Moral (2021), la supervision individuelle possède quatre fonctions : soutenir pour faire face aux situations professionnelles vécues, résoudre les difficultés rencontrées dans l’exercice du métier, développer ses compétences et aptitudes professionnelles, et s’élever, c’est-à-dire comprendre les motivations profondes qui nous poussent à exercer le métier de coach.

Tandis que les fonctions « soutenir » et « résoudre », en particulier en cas de dilemme éthique ou de problème relationnel complexe, peuvent générer une dimension émotionnelle plus forte, la fonction développement des compétences et aptitudes professionnelles quant à elle, mobilise plus facilement les fonctions cognitives du coach. Également nommée fonction didactique de la supervision, cette fonction conduit donc plus spontanément à une relation intellectuelle entre le supervisé et le superviseur.

 

Encadré 3 : Deux illustrations

Fabien est jeune coach pour entrepreneur. Il commence à percevoir dans sa pratique l’émergence des reflets systémiques mais n’est pas encore à l’aise pour les exprimer à ses clients. Il a besoin de comprendre comment partager ce qu’il ressent de manière pertinente et efficace pendant ses séances.

Certains cas amenés en supervision qui nécessitent de « résoudre » quelque chose, facilitent également une relation intellectuelle entre le supervisé et le superviseur, en particulier si les cas n’ont pas de conséquences importantes pour le coach.

Léa est coach de vie, son client connaît un palier dans sa progression. Très expérimentée, elle connaît le phénomène et a déjà formulé plusieurs hypothèses et options qu’elle souhaite valider avec son superviseur. L’échange se concentre sur une dimension cognitive. Léa analyse la situation en prenant de la hauteur, met les éléments à sa disposition en perspective, fait des liens, synthétise sa pensée et pèse le pour et le contre entre les différentes options possibles.

« Souvent quand on rentre dans l’aspect didactique de la supervision le besoin est de revenir sur la compréhension de la situation ou l’utilisation d’un outil ». Verbatim issue de l’une des interviews de nos huit superviseurs.

Au final, selon le sondage réalisé auprès des coachs supervisés, la demande serait un facteur qui influence pour plus de la moitié des répondants la dynamique intellectuelle entre le superviseur et le supervisé lors d’une formation à distance. (Source : sondage coachs supervisés – Cf. Annexe 2)

Quelle posture le superviseur peut-il adopter pour faciliter une dimension intellectuelle dans un contexte de supervision individuelle à distance ?

En conscience -de lui-même et de la relation- (compétence 5 et 6 de l’EMCC), comment et dans quelle intention le superviseur devrait-il ajuster sa posture pour influencer une dimension relationnelle intellectuelle lors de ses séances de supervision à distance ?

Encadré 4 : Une illustration

Nadine, vient d’être écartée d’une mission pour laquelle elle a consacrée toute son énergie depuis plus de 18 mois. Elle arrive en supervision très affectée et en pleure. Elle ne comprend pas les raisons de cette éviction qu’elle considère injuste et se sent très en colère avec la manière qui a été utilisée pour l’en informer. Son égo et ses valeurs sont touchés. Après avoir laissé l’émotion s’exprimer, et après avoir mis Nadine en protection pour soutenir l’enfant blessé (Les 3 P – « Protection, Permission, Puissance » de l’Analyse Transactionnelle – Éric Berne), le superviseur est conscient qu’il doit ajuster sa posture et se repositionner lui-même en passant d’un état du moi « Parent » à celui « d’Adulte » (États du moi de l’Analyse Transactionnelle – Eric Berne). Par ses questions et partages, il aide Nadine à revenir sur des faits, à prendre de la distance et à élargir le regard qu’elle porte sur la situation. Elle-même passe d’une position « d’enfant » à une position « d’adulte ». Ses pleurs se calment et le rationnel prend progressivement la place de l’émotionnel.

« On n’est sûr de ne jamais faire que ce que l’on est incapable de comprendre. Comprendre, c’est se sentir capable de faire. » André Gide – Les nourritures terrestres

Une superviseure interviewée partage les raisons pouvant justifier qu’elle impulse parfois une relation intellectuelle entre elle et le supervisé : « quand je sens que le supervisé est empêtré, confus, je ramène sur l’intellect avec questions ou recadrage ».

Les techniques du superviseur

Pour favoriser une dimension intellectuelle quand cela semble nécessaire, le superviseur ajuste sa posture et peut utiliser différentes techniques :

  • Ramener sur les faits en utilisant une adaptation de l’hexamètre de Quintilien, « QQOCQ » avec des questions commençant par qui, quoi, quand, où, combien, comment ?

 

  • Recadrer : C’est au « Mental Research Institute » de Palo Alto que l’outil recadrage a été conceptualisé comme outil majeur de changement. Le recadrage est un mode d’intervention qui vise à générer un changement de regard du client sur sa situation. Sous ce nouvel angle de vue, ce qui était perçu comme une difficulté devient une ressource utile. Il peut s’agir d’un recadrage de point de vue (les angles de perception et la position du point de vue du client sont modifiés), de sens (à partir des mêmes faits, de nouvelles interprétations de la situation sont perçues par le client), ou de comportement (le client comprend l’aspect positif du comportement qui lui posait problème). Cela permet au client d’élargir sa représentation du monde et d’augmenter ses options d’actions (2).

 

  • Donner du feedback ou des signes de reconnaissance (stroke en Analyse Transactionnelle – Éric Berne).

 

  • Partager sa propre expérience de superviseur.

 

  • Questionner pour élargir les hypothèses. À titre d’exemple : « ton hypothèse est qu’ils ne te trouvent pas à la hauteur, quelles autres hypothèses tout aussi plausibles pourrais-tu envisager? »

 

  • Questionner pour aider à prendre de la hauteur avec des questions du type : « si tu montais dans un hélicoptère, qu’est-ce que tu verrais vue d’en haut concernant cette situation ? »

 

  • Utiliser le modèle Seven Eyed (7 regards) de Hawkins et Shohet (2012) dont voici quelques questions possibles en fonction du regard utilisé :

 

  • Le regard 2 (Les stratégies et actions du supervisé) : qu’est-ce que tu as fait, qu’est-ce que tu as dit ? Pour quelles raisons as-tu choisi de le faire à ce moment-là et de cette manière là ? Qu’aurais tu pu faire différemment ? Quel résultat aurais tu alors obtenu ? etc.
  • Le regard 3 (La relation entre le supervisé et le client) : quels sont les faits précis sur lesquels se sont construits votre relation ? Comment votre relation se développe au fur et à mesure du coaching ? Quel est ton contre transfert vis-à-vis de ton client et comment l’expliques tu ?
  • Le regard 7 (Le contexte) : comment le contexte impacte ta situation ? Quels sont les acteurs parti prenante dans ta situation et ce processus ? etc.

 

  • L’utilisation du dessin ou schéma systémique (Lamy & Moral, 2021 p.187).

 

  • Des exercices facilitant la créativité, par exemple les chapeaux de Bono qui permettent de structurer la pensée (Edward de Bono).

 

  • Un « stretching » pour ramener du rationnel, par exemple entre risques/bénéfices ou entre responsabilités/ compétences (Lamy & Moral, 2021, p.108).

Les approches de supervision

Les approches de supervision sont également à la disposition du superviseur pour l’aider à favoriser une relation intellectuelle quand cela est nécessaire lors de ses supervisions de coach à distance.

Par exemple, la supervision systémique favorise davantage la dimension intellectuelle, tandis que la supervision gestaltiste ou l’approche humaniste favorisent une dimension relationnelle plus émotionnelle en utilisant notamment le corps comme principal outil. La supervision psychodynamique, centrée sur la description du cas et le problème du client ou l’analyse des transferts-contre transferts, des processus parallèles et des identifications projectives, permet également d’activer plus facilement le cognitif. La supervision en psychologie des organisations qui permet de réfléchir à comment les décisions sont prises, comment la ressource « pouvoir » est distribuée au sein de l’organisation ou encore comment les conflits se développent et se résolvent, permet de prendre du recul sur la vision organisationnelle des entreprises en convoquant la dimension cognitive.

La théorie de la co-construction de sens

La théorie de la co-construction du sens a été développée par des chercheurs en psychologie sociale, notamment Mark L. Knapp et John A. Daly, dans les années 1980.  Selon cette approche, le sens d’une interaction est co-construite par les participants de manière conjointe.

Elle met en évidence l’importance de la collaboration, de l’écoute active et de la prise en compte des différentes perspectives pour parvenir à une compréhension partagée de la situation. Cette posture d’ouverture du superviseur permettra l’émergence de nouvelles compréhensions et stratégies possibles.

En conclusion, que pouvons-nous dire de la place de la dimension intellectuelle dans la relation de supervision de coach à distance ?

Il apparaît que cette dimension intellectuelle s’initie entre le superviseur et le supervisé qui travaillent en distanciel dans des contextes et facteurs spécifiques sur lesquels le superviseur peut conserver la main. D’une part le superviseur dispose d’indicateurs précis pour mesurer la teneur intellectuelle que prend la relation et d’autre part il peut régler son intensité en fonction des besoins du supervisé grâce à une multitude d’outils et méthodes à sa disposition. D’ailleurs, un superviseur interviewé affirme que « l’émotionnel j’y vais quand je veux et quand les supervisés veulent, le distanciel ne fait pas de différence ».

Au-delà de ces éléments, la question fondamentale du développement du supervisé s’est posée dans nos recherches : être dans une relation intellectuelle permet-il au coach supervisé de se développer ?

Au travers de nos interviews, quasiment tous répondent positivement à la question (6 répondants sur les huit, soit 87,5%). À l’exception d’un coach supervisé restant plus nuancé. Ce dernier répond qu’il est « probablement possible » de se développer dans ce type de relation intellectuelle.

Figure 3. Résultat issu du sondage réalisé auprès des huit coachs supervisés (Cf. Annexe 2)

Un coach supervisé ayant participé à l’enquête affirme : « Pour ma part, quel que soit le sujet que j’apporte en supervision, ce qui m’aide le plus, c’est une approche intellectuelle, celle qui prend du recul, fait des liens, m’aide à avoir un regard distancié sur ma pratique et à trouver des réponses à mes questions dans les différentes compétences ICF et la méthode apprise. Ce qui m’aide aussi, c’est de pouvoir mettre les choses en perspective, de pouvoir profiter de l’expérience du superviseur qui a pu vivre les mêmes situations et qui peut offrir différentes options, redonner de la souplesse à la pratique, procurer des outils précis adaptés à chaque situation. Mais je pense que la dimension intellectuelle s’appuie sur la dimension émotionnelle qui apparaît alors à travers la qualité d’écoute, les encouragements, les rappels concernant l’histoire du coaché. Les deux sont donc complémentaires pour moi, même si j’ai l’impression de repartir davantage avec un bagage intellectuel. »

Si la dimension intellectuelle dans la relation de supervision à distance permet au client de progresser, nos interviewés s’accordent sur l’intérêt d’une complémentarité avec la dimension émotionnelle.

La figure ci-dessous souligne que trois des coachs supervisés interviewés pensent que pour se développer, l’équilibre entre les deux dimensions (intellectuelle et émotionnelle) est important, tandis que trois autres pensent que cela dépend du sujet et de la situation. Deux interviewés font ressortir quant à eux qu’une dimension intellectuelle en priorité permet de se développer et aucun des supervisés interviewés ne pense que le développement du coach pourrait être possible avec la seule dimension émotionnelle.

Figure 4. Résultat issu du sondage réalisé auprès des huit coachs supervisés (Cf. Annexe 2)

 

Du côté des superviseurs interviewés, les points de vue sont similaires et complémentaires. Selon un des superviseurs interviewés, « le distanciel est un endroit suspendu qui autorise plus de choses et des réflexions plus fondamentales. C’est le paradoxe du distanciel qui crée cette liberté ». Pour ce superviseur « le critère de progression est plus lié à la régularité des séances et l’attente du coaché que le lieu ». Un autre ajoute « j’adore le tel car le visuel peut parasiter le supervisé. Sans caméra il se lâche et se livre ». Un seul est plus nuancé sur cette question de progrès. Il évoque la notion de complétude entre les deux dimensions, émotionnelle et intellectuelle, auxquelles il ajoute la dimension spirituelle. Pour ce superviseur « La clé de l’évolution est dans l’énergétisation des trois centres énergétiques tête, cœur, corps ».

Bien entendu, la limite de notre étude réside dans le fait que les avis n’ont pas été différenciés en fonction, d’une part, de la maturité professionnelle des supervisés et superviseurs interviewés, et d’autre part, de leur profil et préférence. cérébrale. Il est probable que ces éléments aient un impact fort sur la perception et les opportunités réelles de développement des uns et des autres.

« Doutez de tout et surtout de ce que je vais vous dire. » Bouddha

 

 

 

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