Lors de séances de supervision avec mes confrères coachs, la notion de résonance, telle que développée par Mony Elkaim, émerge parfois pour éclairer les difficultés rencontrées avec leurs clients.
Je vous propose d’aborder ce concept en rappelant la définition de la résonance et en transposant ensuite, dans des cas concrets travaillés en supervision de coach, ce concept à notre univers non-thérapeutique, celui du coaching.
Qu’est-ce que la résonance selon Mony Elkaim ?
Psychiatre et psychothérapeute, figure majeure de la thérapie familiale dans les années 70, Mony Elkaim introduit la résonance comme un phénomène distinct de l’empathie ou du contre-transfert (1).
Définition :
La résonance est une amplification des expériences, émotions ou croyances personnelles, déclenchée par les interactions dans un système relationnel (couple, famille, coaching, etc.).
Caractère systémique :
Elle s’inscrit dans une dynamique globale du système humain. Ce qui se passe chez l’un résonne chez l’autre et inversement. Il s’agit d’un écho interactif entre les membres du système.
Une métaphore pour comprendre
Mony Elkaim compare la résonance à ce qui se produit lorsqu’on passe devant une enceinte en discothèque : quelque chose « vibre en nous », indépendamment de notre volonté.
Cela peut se manifester par :
- Des gestes personnels involontaires (croiser les jambes, reculer, se toucher le visage…)
- Des émotions soudaines que l’on ressent (peur, colère, joie, malaise, confusion…)
L’observation comme outil de compréhension
L’accompagnant, en étant attentif à ses propres réactions corporelles et émotionnelles, peut détecter ces résonances et en faire un levier pour faire progresser son client.
- Ce que je ressens n’appartient pas uniquement à moi.
- Mon ressenti peut avoir une fonction dans la relation et servir l’autre, si je le partage.
Une modélisation systémique des relations
Pour développer ce concept, Mony Elkaim s’est appuyé sur l’étude du fonctionnement des couples, qu’il a ensuite généralisée à tout système relationnel.
- Chaque membre du système participe au maintien des croyances de l’autre.
- Certains de nos comportements n’existeraient, selon lui, que parce qu’ils remplissent une fonction dans le système (ex : conforter une croyance de l’autre).
Cette notion de résonance va plus loin que la simple idée qu’une thématique amenée par un client fait écho à son vécu personnel. Pour Mony Elkaïm, il y a bien un écho à un élément personnel de la part de l’accompagnant, mais d’un point de vue systémique, il existe une profonde utilité réciproque pour chaque acteur du système. L’écho que je reçois active un comportement qui a pour but de valider la croyance de l’autre, lequel va à son tour activer un comportement qui renforcera les miennes.
Le concept de résonance (Mony Elkaïm, 1995) est à la psychothérapie ce que le processus parallèle (Harold Searles, 1955) est à la psychanalyse, ou ce que le processus de groupe est à l’analyse transactionnelle : un reflet systémique, outil essentiel sur lequel le superviseur porte toute son attention. Ce qui se joue dans votre système client-coach est une réplique de ce qui se joue dans le système du client avec ses interlocuteurs. Autrement dit, le client se comporte avec vous comme il se comporte avec les personnes avec lesquelles il rencontre une difficulté. Lui partager votre observation, votre ressenti, va lui permettre de faire des liens et de susciter une prise de conscience.
Transposition dans une séance de coaching
Comme en supervision de coach, la résonance peut devenir un outil de décryptage puissant en séance de coaching :
- Elle permet de mieux comprendre ce qui se passe dans la relation avec son client.
- Elle ouvre des pistes de travail sur ce que le client active chez le coach (et inversement).
- Elle aide à sortir d’une logique « je ressens donc c’est à moi » pour adopter une posture systémique : « ce que je ressens a peut-être un sens et une utilité pour l’autre. »
En coaching, lorsqu’une résonance se manifeste chez le coach — c’est-à-dire lorsqu’il ressent quelque chose de particulier, physiquement ou émotionnellement — c’est comme si le système lui faisait un cadeau. Ce signal intérieur devient alors une porte d’entrée vers une compréhension plus fine de la dynamique relationnelle. L’accueillir, l’explorer, puis éventuellement le partager avec le client peut contribuer à accélérer la prise de conscience et la croissance du client coaché.
Ne pas prêter attention à ces résonances, c’est passer à côté d’une richesse précieuse offerte par le système lui-même.
Autrement dit, les comportements ou ressentis du coach ne sont pas uniquement le fruit de son histoire personnelle : ils ont aussi une fonction systémique, souvent inconsciente, qui participe au maintien des croyances de la personne accompagnée.
Pour Mony Elkaim, ce que nous ressentons n’est jamais purement individuel : c’est le produit d’une co-construction avec le système dans lequel nous évoluons et les personnes avec qui nous interagissons. Le système nous « sculpte », et ce façonnement peut devenir un formidable levier de transformation… si nous savons l’écouter.
Mise en situation : quand la résonance s’invite dans la relation de coaching
Cas de supervision 1 : un client directif, convaincu d’être le seul à avoir du leadership ou des idées.
Lors d’une séance de supervision, Pete partage avec moi le comportement déstabilisant de son client. Il aimerait comprendre ce qui se passe et mieux pouvoir réagir.
Son client, un directeur général engagé dans un contexte de crise, aborde dans ses séances un sujet sensible : sa forte déception vis-à-vis de son comité de direction. Il les perçoit comme passifs, peu impliqués, et surtout incapables de proposer des solutions stratégiques pour sortir l’entreprise d’une situation critique.
Très vite, dans sa séance de coaching, le client adopte une posture haute, directive, parfois même imposante. En tant que coach, Pete ressent alors un certain malaise : il me dit se sentir intimidé, déstabilisé, peut-être même réduit au silence. Une tension s’installe entre lui et son client.
Nous faisons rapidement l’hypothèse avec Pete, d’une résonance : ce qu’il ressent dans son corps ou ses émotions n’est pas anodin. Son propre comportement risque de renforcer ou challenger une croyance profonde de son client.
Scénario 1 : le coach passe à côté de la résonance
Dans ce cas, le coach n’écoute pas son ressenti, ne l’identifie pas comme un indicateur systémique ou n’ose pas le partager. Il reste effacé, ne confronte pas, écoute longuement sans vraiment intervenir.
Ce comportement, bien qu’involontaire, peut valider la croyance du client : « Décidément, je suis le seul ici à avoir du leadership ou des idées. »
Scénario 2 : le coach utilise la résonance comme levier
Le coach prend conscience de ce qu’il éprouve et ose l’explorer avec curiosité. Il peut alors dire, avec tact et bienveillance :
« J’aimerais vous partager un ressenti personnel, pour voir s’il peut faire écho avec votre situation.
Je remarque chez moi une certaine difficulté à vous challenger ou à imposer mes idées dans cet échange… alors que ce n’est pas mon fonctionnement habituel. Cela m’interroge : est-ce un ressenti que d’autres dans votre entourage pourraient également éprouver ? Peut-être vos collaborateurs ? »
Cette posture ouvre une fenêtre de conscience pour le client : il peut commencer à faire le lien entre sa manière d’être et la réaction de son environnement. Ce retour devient alors un miroir, non pas pour juger, mais pour éclairer une dynamique relationnelle.
En transposant la logique de l’univers thérapeutique de Mony Elkaim à notre profession de coach, nous formulons l’hypothèse avec mon confrère Pete que je supervise, qu’il a lui-même contribué à renforcer les croyances de son client sans y prêter garde, car il n’a pas osé partager son éprouvé.
Pete, habituellement de nature challengeante et peu enclin à se laisser intimider, se dit surpris par le comportement qu’il a adopté. Nous en déduisons, qu’il est possible que cette attitude n’ait émergée que parce qu’elle remplissait une fonction utile dans le système — en l’occurrence, celle de renforcer la croyance du client — comme le suggère Mony Elkaim dans son approche systémique.
Cas de supervision 2 : Un client passif, convaincu d’être « en retrait »
Lors de sa séance de supervision, Angeline partage un cas qui l’a profondément fait réfléchir. Lors d’une séance de coaching, elle se surprend à « trop parler », à prendre beaucoup de place face à un client très introverti, peu expressif, qui répond de manière très succincte à ses questions. Elle ressent une forme d’inconfort avec le silence, l’impression de s’imposer dans un espace où le dialogue peine à s’installer. Elle observe aussi qu’elle se met à gesticuler de manière inhabituelle.
Son client, un jeune ingénieur récemment promu responsable de service, est lui-même convaincu d’être une personne en retrait, timide, peu à l’aise dans la prise d’initiative ou l’exercice de l’autorité. Il pense qu’il n’est pas fait pour cela. Face à son équipe d’experts autonomes qui prennent des décisions sans le consulter, il se sent dépassé et illégitime dans son rôle de manager.
Dans cette relation de coaching, deux scénarios sont possibles pour Angeline.
Scénario 1 : le coach passe à côté de la résonance
Dans ce premier scénario, déstabilisée par l’attitude réservée de son client, Angeline peut, sans s’en rendre compte, combler le vide relationnel en parlant beaucoup, en proposant des pistes, en orientant la réflexion. Si cette posture se veut aidante dans son intention, elle risque paradoxalement de renforcer la croyance limitante du client : celui-ci expérimente à nouveau une dynamique où l’autre prend les choses en main, et lui reste en retrait — confortant ainsi son sentiment d’impuissance et « d’être quelqu’un en retrait ».
Scénario 2 : le coach utilise la résonance comme levier
Mais à l’inverse, si Angeline accueille cette résonance (parler trop, ressenti d’inconfort et gesticuler) comme une information précieuse, elle peut en faire un levier d’évolution pour son client. En prenant appui sur ce qu’elle ressent et observe dans l’ici et maintenant, elle peut offrir un espace différent à son client. Elle pourrait, par exemple, s’autoriser un silence profond, laissant au client le temps d’habiter pleinement la relation et d’en prendre l’initiative. Elle pourrait aussi réagir aux propos de son client en disant : « Je me demande quelle serait pour vous la meilleure manière d’aborder cette question ? Qu’en pensez-vous ? » — redonnant ainsi au client la possibilité de choisir une direction, et de s’autoriser à prendre le lead dans un cadre sécurisé.
Elle pourrait également lui partager son observation et son ressenti en disant, par exemple : « Je remarque que je pose beaucoup plus de questions que d’habitude, comme si j’essayais de combler un certain vide dans notre échange. Je me demande si ce que je ressens ici, dans notre interaction, fait écho à ce que pourraient vivre vos collaborateurs. Qu’en pensez-vous ? »
La résonance, concept central en supervision de coachs, est un outil d’analyse relationnelle régulièrement utilisé par les superviseurs. Transposé au rôle de coach, il devient un puissant levier de compréhension et d’intervention. En accueillant ce que leur propre vécu émotionnel et corporel révèle de la dynamique du système, les coachs peuvent enrichir leur posture et faciliter des prises de conscience profondes chez leurs clients. Une clé précieuse, à la croisée de l’intuition et du regard systémique.
Notes : (1) Le contre-transfert fait référence aux réactions émotionnelles inconscientes du superviseur envers le coach supervisé, souvent influencées par ses propres vécus et expériences personnelles.
Référence bibliographique : « Entre résilience et résonance. A l’écoute des émotions » Boris Cyrulnik et Mony Elkaïm
Sandrine Saliba est Coach Exécutif Sénior certifiée Master Coach Certified (MCC) par la Fédération Internationale de Coaching (ICF) et Senior Practitioner par l’EMCC. Elle est également formatrice au métier de Coach (RNCP et niv 2), Mentor et Superviseur de coach accrédité ESIA.
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